publié par Caroline Eddy, le 13 octobre 2023
L’enseignement de l’anglais en France est bien plus théorique que pratique. Démarche actionnelle, pédagogie « différenciée », didactique de l’anglais… De grands concepts mais dans la réalité, ça donne quoi ? Pas grand-chose.
Si l’anglais est enseigné aux élèves dès la maternelle, les chiffres de l’Ipsos sont assez évocateurs en termes de maîtrise de la langue, puisqu’en définitive, seuls 21 % des actifs et 19 % des Français estiment avoir un niveau suffisant en anglais. Plus inquiétant encore, trois Français sur dix se sont vus contraints de renoncer à un poste ou une promotion à cause de leur niveau d’anglais. Alors que « l’anglais pour tous » est un des piliers de l’éducation nationale, dans les faits, nous en sommes bien loin ! (https://www.ipsos.com/fr-fr/les-francais-et-langlais-seuls-21-estiment-avoir-un-niveau-satisfaisant)
La réalité horaire
Ces chiffres sont connus et inquiètent les gouvernements successifs : coefficients plus importants, enseignement obligatoire d’une langue vivante (souvent l’anglais) dès les petites classes, financement de labos de langues, création de banques de données de documents… Tous ces changements partent d’une intention somme toute louable : permettre aux élèves français de maîtriser une deuxième langue pour qu’ils brillent à l’international à l’instar de leurs homologues allemands ou suédois. Cependant, les moyens réels sont loin de faciliter l’apprentissage des LV : effectifs trop chargés, heures « classiques » d’enseignement… Pour apprendre une langue il faut la pratiquer tous les jours, au moins un petit peu, mais l’enveloppe horaire commune à la LVA et à la LVB est de 5h30 en 2nde GT, traditionnellement réparties en 3h de LVA et 2,5h de LVB. Cette enveloppe commune passe à 4h30 en 1re puis 4h en terminale en tronc commun (hors spécialité). Et quand, au lycée, on doit emmener les élèves du niveau B1 au niveau B2 (le niveau A2 ayant été théoriquement validé par le brevet), on se sent bien démunis, surtout quand, arrivé en terminale, il nous reste 2h par semaine devant des élèves autrement préoccupés par leurs matières de spécialité (et on les comprend !).
La démarche actionnelle à 36 élèves par classe
En plus de cette réalité horaire, il y a également l’organisation des cours en elle-même qui, dans les faits, ajoute de la complexité à une situation déjà bien compliquée. 36 élèves qu’on doit bercer au rythme de la « démarche actionnelle » qui présuppose qu’en 55 minutes (pour les plus chanceux, mais qui deviennent parfois 50 voire 45 minutes dans certains établissements où j’ai pu travailler) on ait le temps de les faire TOUS s’exprimer et participer activement.
En soi, la démarche actionnelle part d’une bonne intention : faire agir l’élève pour qu’il mobilise savoir, savoir-faire et savoir-être pour parvenir à un résultat. Si c’est trop de jargon : il s’agit en fait de mettre l’élève en action, dans la langue. Il est indéniable que mettre l’élève en action est préférable à une transmission magistrale des savoirs dans un cours de langue. Cependant, cette démarche actionnelle présuppose déjà un désir de participation active des élèves. En réalité, chaque professeur sur le terrain pourra vous dire que tout cela dépend de bien des facteurs : il existe des heures de réceptivité accrue dans une journée ; parfois le cours qui précède le cours de langues a tendance à fatiguer les élèves (EPS ou rythme particulièrement soutenu) ; des élèves arrivent déprimés en cours après avoir reçu des notes catastrophiques l’heure d’avant ; l’heure après la pause déjeuner est une heure propice à la sieste et non aux apprentissages… Bref, mettre les élèves en action chaque heure de cours, c’est comme escalader une montagne sans chaussures adaptées. Et c’est normal ! Nos enfants ne sont pas des robots. Chacun des 36 élèves vient en classe avec son bagage et c’est ainsi.
À cette nécessité de « faire le show » pour réveiller Paul et Léa après la pause déjeuner vient s’ajouter l’organisation de la séance en elle-même, imposée par le CECRL et les directives de l’inspection académique. Une séance dont le rythme est limité par la nécessité de tout faire très vite : anticipation de l’activité, activité langagière, « Recap ! » (lire ce mot ici donnera des boutons à certains, j’en suis sûre), « qu’est-ce qu’on a fait aujourd’hui », objectif grammatical / phonologique / lexical / méthodologique / culturel de la séance, activité de transfert… Et tout ça à une vitesse qui ferait pâlir Usain Bolt (car à cela s’ajoutent également les corrections, les évaluations, le côté administratif…). Si la nouvelle réforme du bac a permis aux professeurs de se libérer – théoriquement car je ne l’ai pas vécu – d’un certain impératif de rythme (une séance pouvant être étalée sur plusieurs heures de cours), le répit fut de courte durée car les thèmes ont, eux, été multipliés par deux. Qui dit plus de thèmes dit forcément moins de temps… Et toujours à 36 (pour le lycée, là où j’ai principalement enseigné. Les effectifs que j’ai eus en collège étaient plus proches de 26/28 élèves par classe).
Dans les faits, des élèves passent à la trappe car il n’y a pas d’offre pour eux. Les timides ne prendront pas la parole (ou très peu), ce qui ne les met pas en action, et les élèves ayant des facilités ou un goût pour la matière lèveront la main. Alors on crée des stratégies en tant que prof pour essayer de créer ce contexte d’action en anglais : bavardage uniquement en anglais (ou on perd des points sur l’évaluation de la participation), vocabulaire de classe en anglais (pour demander de la colle ou une copie), travaux de groupe exclusivement en anglais (ou on perd des points…) et j’en oublie ! Mais soyons réalistes, il ne s’agit que de « pansements » afin d’avoir un semblant d’action pour tout le monde.
En définitive, la démarche actionnelle est une réelle avancée, mais les progrès en langues qu’elle permet ne restent que théoriques si l’on considère tous les élèves qui y participent. Ici encore, les élèves qui ont des facilités seront avantagés (ou du moins, auront la chance de pouvoir réinvestir leurs connaissances) et les élèves en difficulté ou timides ne pourront pas pleinement en tirer profit. Une première solution serait d’envisager l’enseignement des langues en demi-groupe ou en groupe restreint et, pourquoi pas, de l’envisager également sur un rythme différent de l’heure de cours classique de 55 minutes X fois par semaine… mais pour faire bouger le mammouth, encore faut-il réussir à se faire entendre. Nombre de mes collègues ont d’ailleurs déjà planché sur ce sujet et vous pourrez retrouver facilement leurs livres en librairie.
L’impression de ne pas vraiment enseigner l’anglais…
Alors voilà pourquoi j’ai quitté le navire. L’impression de nager à contre-courant… L’impression de ne pas pouvoir vraiment faire progresser mes effectifs de 36. L’impression d’enseigner pour le bac et non pour l’avenir. L’impression d’être bloquée et isolée. L’impression de courir après le temps, de devoir les faire avancer tout en essayant de répondre à leurs interrogations et en devant sacrifier la pratique. L’impression de devoir tout faire très vite alors que c’est justement en prenant son temps qu’on assimile et qu’on progresse. L’impression d’être dans une impasse devant des élèves qui auraient déjà pu apprendre bien plus au cours de leur scolarité mais qu’on a sacrifiés au prix de manuels farfelus, de démarches d’enseignement qui ont l’air bien sur le papier mais qui en pratique sont insoutenables, de méthodes « innovantes » promues en formation mais inapplicables en classe… Et surtout l’impression de trahir mes élèves, l’impression de ne pas pouvoir leur transmettre ce que je sais, l’impression de ne pas leur dire la vérité, car seuls les élèves qui font de l’anglais hors temps scolaire (réseaux sociaux, jeux vidéos, contexte familial…) pourront vraiment briller dans la matière.
Et aujourd’hui ?
Et voilà aussi pourquoi je me suis lancée dans l’aventure de l’enseignement hors éducation nationale. Après un temps de remise en question pour comprendre pourquoi j’avais perdu le goût d’enseigner, j’ai enfin découvert que j’avais toujours cette envie de transmettre, d’aiguiller, de partager, d’accompagner… Ce n’est pas enseigner qui me donnait la boule au ventre, c’est le faire sans liberté et en ayant la sensation de ne pas pouvoir accompagner tous mes élèves. Alors aujourd’hui, grâce à mon entreprise, je suis libre de créer les contenus qui permettent à mes élèves d’avancer à leur rythme et d’aider chacun à découvrir ou redécouvrir ses affinités pour l’anglais. J’accompagne aussi des enseignants sur la route de l’enseignement de l’anglais – matière qui leur a été imposée et qui génère un stress parfois paralysant pour tout non spécialiste. Je partage mes connaissances avec des adultes, des adolescents, des enfants, des tout-petits, des groupes, des particuliers, des binômes, des professionnels… Bref, j’enseigne l’anglais avec passion !