Qu’en est-il du risque de confusion ?

publié par Caroline Eddy, le 13 octobre 2023

Que tout le monde se rassure, la confusion des tout-petits qui s’éveillent à une langue étrangère est un mythe.

Des facultés d’adaptation surprenantes

Contrairement aux idées reçues, découvrir les langues tôt n’engendre ni retard ni confusion dans la langue maternelle. C’est même l’opposé : le cerveau des bébés a cette particularité qu’il peut différencier les sons, les intonations et les accents sans effort. Petit à petit, en multipliant les contacts avec la langue étrangère, l’enfant devient conscient de l’existence de deux systèmes différents et s’adapte aisément.

Les enfants bilingues ont une faculté d’adaptation surprenante et alternent sans difficulté entre plusieurs systèmes langagiers dont ils savent respecter les codes. Plus une langue est introduite tôt, plus il est facile de passer de l’une à l’autre. C’est par la suite, en grandissant, que le cerveau perd cette perméabilité et requiert un apprentissage plus soutenu – voire scolaire – d’une langue, ce qui n’engendre pas pour autant de confusion.

La chasse aux idées reçues

L’idée de l’existence d’une confusion est venue d’une mauvaise compréhension du multilinguisme chez l’enfant. Plusieurs idées reçues sont venues « confirmer » cette impression :

  • Un enfant exposé à plusieurs langues parle plus tard : c’est plutôt faux. Il est possible qu’un enfant bilingue parle plus tard. Si je prends mon exemple personnel, deux de mes trois enfants n’ont commencé à s’exprimer réellement qu’à partir de l’âge de 2 ans. Cependant, dès qu’ils se sont mis à parler, leurs phrases correspondaient au niveau attendu à l’âge de 2 ans. S’ils ont pris plus de temps à se lancer dans l’expression orale, ils n’avaient pas moins de capacités que leurs pairs puisqu’ils en étaient au même niveau, et ceci dans deux langues différentes ! Et pour contredire l’exemple de l’expérience personnelle, l’une de mes filles a parlé très rapidement, bien avant son frère et sa sœur au même âge. Chaque enfant commence à s’exprimer lorsqu’il se sent prêt. Il convient de préciser ici que si mes deux enfants ont commencé à s’exprimer avec des phrases à partir de 2 ans, ils n’étaient pas pour autant mutiques. Ils ont tous les deux mis en place des stratégies de communication montrant qu’ils étaient en pleine maîtrise de leur expression (babillages, quelques mots, gestes, intonations…).
  • Un enfant bilingue possède moins de vocabulaire : FAUX. Un enfant bilingue, même s’il peut sembler avoir moins de vocabulaire dans sa langue maternelle, connaît le même nombre de mots que ses pairs, mais dans deux langues différentes. Et plus intéressant encore, lorsque les deux langues sont pratiquées quotidiennement, l’enfant bilingue connaît davantage de vocabulaire que l’enfant ne parlant qu’une langue. En effet, les mots du quotidien sont connus dans deux systèmes différents. Au lieu de ne connaître que le mot voiture, l’enfant bilingue anglais-français connaîtra voiture et car. Si l’une des deux langues est pratiquée davantage, alors l’enfant progressera plus vite dans la maîtrise de la langue qu’il pratique le plus.
  • L’enfant exposé à une langue étrangère ne la pratique pas toujours : ici ce n’est ni vrai, ni faux. C’est une période silencieuse qui est commune à de nombreux enfants exposés à une langue étrangère après avoir été exposés à leur langue maternelle. C’est une période que certains enfants traversent et qui souligne leur besoin de s’habituer à un nouveau code avant de le pratiquer. On retrouve parfois cette période silencieuse dans la langue maternelle avec certains enfants qui parlent « tardivement » (par rapport aux repères créés par notre société), mais qui, lorsqu’ils commencent à s’exprimer, le font d’une manière très avancée. Cette période correspond à ce qu’on pourrait appeler une période d’analyse, de compréhension des codes, avant de passer à une phrase de restitution et d’expression.
  • Les mots se mélangent dans leur tête : plutôt faux. Votre enfant comprendra bien vite les différents codes auxquels il est exposé. S’il peut de temps en temps vous répondre dans l’autre langue, c’est que ce mot est le premier qui lui vient à l’esprit. On dit parfois « j’ai le mot sur le bout de la langue, mais je n’arrive pas à le trouver ». Un enfant exposé à deux langues aura donc deux systèmes dans lesquels il pourra trouver ce mot qu’il cherche, et parfois il utilisera la langue étrangère car c’est celle qui décrit le mieux ce qu’il ressent ou tout simplement car c’est le premier mot qui lui vient en tête. C’est ici à vous de délimiter l’espace de liberté de votre enfant. Si ce « basculement » linguistique vous gêne, des stratégies de contournement vous permettront de l’éviter : « je ne comprends pas ce mot, peux-tu le dire en français ? », « ah, c’est de [le mot traduit en français] que tu me parles », « C’est ça que tu veux ? (en montrant l’objet ou en le nommant en français) »… autant de stratégies qui vous permettront de créer votre propre espace de communication bilingue.
  • Les enfants bilingues sont mauvais en grammaire et en syntaxe : FAUX. Si des phrases en anglais sonnent français ou inversement, c’est parce que justement vos enfants naviguent entre deux codes. Il faut parfois un certain temps pour détacher les deux syntaxes et s’adapter à deux systèmes grammaticaux différents. La reprise et la correction font partie des stratégies à mettre en place en plus d’une utilisation quotidienne des deux langues. C’est comme pour tout, c’est par l’apprentissage que l’on progresse. Dans sa langue maternelle, un enfant va également se tromper et progresser en grammaire et en syntaxe. C’est la même chose pour les enfants bilingues.
  • Je ne peux pas parler deux langues avec mon enfant, ça va le déstabiliser : FAUX. Et là, un seul conseil : faites ce que vous voulez et ce qui vous tranquillise le plus ! Chaque famille bilingue va mettre en place ce qui fonctionne pour elle. Si certains disent que les parents doivent toujours s’exprimer dans leur propre langue, d’autres diront que tout le monde peut faire ce qu’il souhaite. Pour ma part, nous avons choisi d’utiliser les deux langues sans distinction réelle, puisque mon mari et moi-même sommes bilingues. Il était impensable pour nous de ne parler que notre langue maternelle avec nos enfants alors que nous sommes tous les deux bilingues (C2). Alors nous avons évolué avec les deux langues, en accordant un temps supplémentaire à l’anglais puisque le français allait être, quoi qu’il arrive, pratiqué à l’extérieur de la maison. Si le mélange des deux langues vous fait peur, plusieurs options déjà connues s’offrent cependant à vous, mais demandent une discipline stricte si vous les choisissez : le système « OPOL » (one parent, one language), qui implique de ne parler que sa langue maternelle avec son enfant (ce qui peut parfois déstabiliser les moments de partage, surtout pour le parent « étranger »), mais qui est souvent incontournable si l’un des deux parents ne maîtrise pas la langue de l’autre ; la langue étrangère associée à un endroit (le français à l’extérieur, l’anglais à la maison) ; la langue étrangère associée à une activité…

Autant de systèmes qui existent parce qu’ils ont justement été pratiqués par une variété de familles bilingues, trilingues ou aux parents de deux langues différentes. Ce qui importe : que votre enfant puisse vous voir à l’aise dans la situation que vous avez mise en place.

Quand faut-il s’inquiéter ?

La question qui subsiste est la suivante : Y a-t-il des situations dans lesquelles je dois m’inquiéter ? Potentiellement, mais ces situations seront les mêmes que pour un enfant monolingue dans le contexte de l’apprentissage de la parole (ex. : l’enfant ne me comprend pas, ne répond pas à son prénom, n’interagit pas, ne parvient pas à prononcer correctement certains phonèmes…). Il n’y a pas d’inquiétude spécifique au développement du bilinguisme chez l’enfant, la présence d’un trouble du langage étant indépendante de la langue.

Lancez-vous !

Ce qu’il faut retenir : le bilinguisme est un atout réel pour votre enfant. En tant que parents, vous êtes décisionnaires et créez l’espace dans lequel votre enfant va grandir. Bilinguisme ou non. Ne vous laissez pas influencer par les mythes qui entourent l’apprentissage des langues, car ils ne sont que des mythes et des impressions. Alors, si vous en avez l’envie, n’hésitez pas. C’est une démarche qui ne pourra qu’être bénéfique pour votre enfant !

À venir : Puis-je apprendre l’anglais à mon enfant si je ne suis pas bilingue ?